Pureté et goût, le vin naturel au Japon

On lit ici et là sur la toile les piques des détracteurs du vin nature. Cette boisson (sans intérêt) serait tout juste bonne pour les Japonais (ces ignorants) qui n'y connaissent rien et se font avoir (quels imbéciles !) par ces mauvais garçons (et filles) qui font du vin naturel parce qu'ils ne savent rien faire d'autre (les incapables) !

Sous-entendu, le vin naturel serait un vin pour les nuls.

"Sans les Japonais, les producteurs de vins bio et naturels français crevaient", se souvient François Dumas qui, avec Racines, fait partie des pionniers à avoir vendu des vins naturels au Japon. Et il n'a pas tort, car Monsieur Ito et le vin naturelle secteur des vins natures français doit beaucoup à ses fidèles clients japonais. Il y a une part de vérité dans cette argumentation. Les japonais sont effectivement, avec les européens du Nord (Danemark, Norvège...), les plus gros importateurs de vin naturel français. Et certains de nos mauvais garçons (et filles) qui font du vin nature en exportent jusqu'à 95% vers ces pays. Pire encore, les japonais rachètent des domaines français et une vague de jeunes vignerons japonais s'installe en France dans le but avoué de faire des vins naturels pour leur pays d'origine.

Les japonais boivent à vrai dire relativement peu de vin (2,9 litres par personne contre plus de 40 litres par personne en France). Les boissons nationales sont le saké, le soshu, la bière et le whisky. Et ce marché plutôt étroit réserve pas mal de surprises !

Première surprise, le vin bio représente environ 50% du marché au Japon (contre un petit 10% en France, chiffres 2017). Le Japon serait-il en avance sur la France où le bio connaît une croissance rapide ?

Deuxième surprise, le marché du vin au Japon est un marché de connaisseurs, centré notamment sur la restauration de luxe. Et le luxe cullinaire se porte bien, très bien. Le Japon est le pays qui compte le plus de restaurants étoilés au Michelin. 21 restaurants étoilés à Nara, 117 à Osaka, 135 à Kyoto et 304 à Tokyo (Paris, à titre de comparaison n'en a que 134).

Troisième surprise, le Japon, qui concilie volontiers la modernité et la tradition, voit les vins naturels d'un très bon oeil, car ceux ci sont synonymes de pureté, d'authenticité et de goût !

"Cela fait longtemps que j'apprécie les vins natures", explique notre ami Kenjiro de Kishimoto wines (basé à Osaka) importateur des vins biologiques européens. "Mais il m'a fallu longtemps pour commencer à les importer car les prix étaient un peu élevés, et ma société se spécialise dans les bouteilles à coût modéré. Avec le nouvel accord commercial Union Européenne - Japon qui supprime les droits de douane sur le vin, de nouvelles possibilités s'ouvrent à nous et le vin naturel va sortir des bars à vin et restaurants de luxe". 

 

Millésime Bio et les salons off

Présents en nombre aux salons off de Millésime Bio, comme Route 66, le Salon des Affranchis ou encore le salon "Les Vignerons de l'Iréel", les japonais se retrouvent désormais du coté des acheteurs comme de celui des producteurs. Il y a bien sur l'emblématique Monsieur Ito, basé à Paris, qui déniche les petits domaines pour les exporter au Japon avec semble-t-il, toujours une longueur d'avance, et que tout le monde semble connaître bien qu'il semble être d'une discretion absolue, et généralement invisible.

Nous sommes allés au devant de ces personnes si différentes de nous et qui jouent un rôle si important dans le vin naturel français. Et nous leur avons demandé, d'où vient cette histoire d'amour entre le Japon et le vin naturel ?

 

Le Japon et le vin nature, une alliance prédestinée

Pas de résistances à l'adoption

Vin de France, Vin de Pays, Appelation d'Origine Contrôlée (AOC), IGP (Indication Géographique Protégée), AOP (Appelation d'Origine Protégée)... La burocratie française est passée maître dans l'art de la tetracapilothome administrative (coupe de cheveux en quatre). Mais du point de vue japonais, tout cela n'est que babillage sans importance. Si le vin est bon, on l'adopte, et tant pis pour tous ces corps constitués, associations professionnelles, comités ministériaux et autres intermédiaires qui en France ont vaillament bataillé contre le vin nature et contre le triomphe du goût.

 

Des seigneurs du goût

Ce n'est pas un hasard si Tokyo détient le record absolu en termes de restaurants étoilés michelin (304 tables étoilées, contre 134 à Paris...). Car les japonais sont des seigneurs du goût. Et la recherche du goût authentique, du goût parfait, de l'équilibre parfait entre les aliments, de l'équilibre parfait aliment - boisson est un thème récurrent de la gastronomie japonaise. Inutile d'ailleurs d'aller dans un restaurant étoilé au pays du soleil levant. Même la chaine la plus humble de fast food japonais avec un menu à 800 yens (7 €) vous présente des plats dans lesquels les ingrédients sont savamment dosés pour l'équilibre et la saveur.

Le vin naturel s'insère parfaitement dans cette recherche. Car il est typiquement plus varié, plus original, et souvent plus gouteux que son homologue le vin conventionnel. On va donc pouvoir l'assortir à des mets très spécifiques pour créer une expérience culinaire hors du commun.

 

Small is beautiful

Vue de loin, la cuisine japonaise peut sembler homogène, voire ennuyeuse. Les restaurants japonais de Paris, pour la plupart tenus par des chinois ne servent guère que du poisson cru et des brochettes. Sushis, sashimis, yakitori... Sympa mais répétitif.

Dès qu'on va au Japon, le paysage change considérablement. Comme en France, chaque région, chaque patelin semble avoir ses spécialités culinaires et ses propres façons d'adapter les recettes nationales. Ainsi l'oekonomiaki (espèce de galette / omelette à base de chou chinois) de Hiroshima est très spécifique et différent de cette de Himeji, pourtant proche. Les ingrédients les plus standards, comme le miso, existent en un nombre infini de variantes. On cherchera le miso rouge de Nagoya (fabriqué à partir de fèves de soja grillées) pour son goût inimitable, ou le miso blanc de kyoto, légèrement sucré et qui dessine comme un nuage dans les bols de soupe ... Surtout on recherchera le miso ou le sake de tel petit producteur, connu dans tout le Japon pour l'excellence de ses produits.

Le mode de production et de distribution du vin naturel va donc de soi pour les japonais. Dénicher des petits vignerons qui travaillent des terroirs spécifiques et sortent des vins naturels pas comme les autres, rien de plus naturel. Bien au contraire, cette immense diversité est valorisée et valorisante. Certes elle entraine des contraintes, et notre ami Kenjiro Kishimoto de Kishimoto Wines se plaint de devoir déguster chaque millésime de chacun des vins qu'il importe, afin de s'assurer que la qualité constatée l'année précédente y est encore l'année suivante !

En conséquence d'ailleurs, les vins très formatés du nouveau monde (Australie, Nouelle Zelande, Chili...) n'inondent pas le Japon contrairement à ce qu'on pourrait penser. Excellents certes, mais trop homogènes, pas assez créatifs...

 

Le saké est naturel, alors pourquoi pas le vin

Il va de soi au Japon que le saké soit un produit naturel, élaboré sans additifs, et sans sulfites ajoutées. En devenant "naturel", le vin français ne fait en quelques sortes que s'aligner sur les standards nationaux. L'analogie va d'ailleurs plus loin, les japonais consommant beaucoup de sakés atypiques, issus de petits producteurs qu'ils choisissent avec soin et avec lesquels ils entretiennent des relations séculaires... Comme ils le font avec nos vignerons hexagonaux.

 

C'est bon pour la santé et pour l'énergie

Comme partout ailleurs, l'argument santé joue un rôle important au Japon. Pas de mal de crâne, on peut en boire autant qu'on veut (enfin presque...). Voilà tout qui est dit ! Enfin peut-être... Car le Japon, pays de tradition partiellement animiste shinto, l'argument santé se double d'un argument extrasensoriel, énergétique ou spirituel. Car un bon vin est censé vous revigorer, vous réveiller. Vous donner de l'énergie. Vous donner un petit coup de fouet positif, un boost sympathique. Alors qu'un mauvais vin est un vin qui vous endort, qui vous ramolit, dont l'énergie vous fatigue... Et comme par hasard, ces fameux intrants du vin, ces produits chimiques utilisés à toutes les étapes d'élaboration des vins conventionnels sont aussi ceux qui sont principalement responsable d'une mauvaise énergie du vin.

 

Le Japon en avance sur la France ?

Dernière petite question susceptible de tarauder la profession : le Japon fait il office de précurseur ? Faut-il penser que le vin en France sera bientôt à 50% du vin bio ? Que le vin naturel s'invitera bientôt sur toutes les tables françaises ? On peut en douter, tant les structures de la société française sont différentes de celles de la société japonaise. Mais il ne faut pas sous estimer les vagues de fond. Les français ne sont pas moins attachés au goût et à la santé que les japonais. Et tôt ou tard ce sont les consommateurs qui auront le dernier mot.

 

Article publié le 18/01/2019

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