Il s’appelle Aurélien, il a environ 35 ans et propose ses vins biologiques à la dégustation sur un salon. D’entrée de jeu il annonce que rien ne le prédisposait à devenir vigneron.
- J’étais parti faire un tour de la méditerranée à pied, me dit-il avec un petit sourire en coin, je me suis arrêté près de Montpellier, dans un grand domaine, pour faire les vendanges. De fil en aiguille, j’ai travaillé pour eux pendant trois ans puis je me suis installé à mon propre compte.
Dès le début de cette histoire, l'on décèle certains des ingrédients types de viticulteurs bio. Des aventuriers à l’esprit farouchement indépendant ? Il y a quelque chose de cela. Mais alors pourquoi le bio ?
- Dans ce domaine près de Montpellier, poursuit Aurélien, on s’habillait en cosmonautes pour se protéger lorsqu’on traitait la vigne. Et cela faisait rigoler les écoliers qui nous voyaient travailler ainsi en revenant de l’école. Ils étaient à quelques mètres, ne se rendaient absolument pas compte du danger qu’ils couraient, alors qu’ils n’étaient absolument pas protégés. Et alors que je me suis découvert une passion pour la nature et le travail de la terre, je supportais de moins en moins cette contradiction, le fait de faire quelque chose de naturel avec des moyens qui ne l’étaient pas.
Quand il s’est installé, Aurélien l’a fait directement en bio.
- C’était plus simple comme ça, explique-t-il avec candeur. Puisque j’ai planté toutes mes vignes moi-même, elles n’ont jamais été habituées aux produits chimiques et n’ont pas subi les symptômes de sevrage comme celles de collègues qui sont passés au bio sur le tard. Et j’ai planté directement des variétés naturellement résistantes, car je savais où j’allais.
Quelques stands plus loin, son collègue Lucien raconte une histoire tout à fait différente. Lucien est tombé tout doucement dans le bio. Il a d’abord repris quelques parcelles qui n’avaient en quelque sorte jamais été traitées. Elles n’avaient certes aucun label bio, mais Lucien fut interpellé de constater que les vignes étaient en bonne santé et les rendements loin d’être ridicules. Il décida de continuer à les exploiter comme leur ancien propriétaire, et tant qu’à faire, de leur donner un label. Constatant alors l’engouement du public pour le vin bio, il transféra progressivement l’ensemble de son domaine en agriculture bio sur une période d’une dizaine d’années.
- Les deux premières années, affirme Lucien, la vigne vit encore sur ses acquis « chimiques » et on n’a pas trop de problèmes. Ce sont les années 3 et 4 qui sont difficiles. Quand elle n’est plus soutenue par la chimie, la vigne doit apprendre à se défendre par elle-même contre les maladies. Il y a 2 années difficiles à passer où les parcelles sont très fragiles, après ça va mieux.
Robert lui ne fait pas dans la dentelle.
- Quand on voit plusieurs de ses copains mourir à un âge jeune de cancer, forcément on se pose des questions. Alors je n’ai pas vraiment eu le choix. Arrêter les traitements s’est imposé comme une évidence, et donc j’ai converti mon domaine au bio.
- J’étais effrayé par la couleur orange des vignes une fois que je les avais passées au le round up, me confie Bastien. Heureusement je suis libre – il explique qu’il est son propre patron - et j’ai pu décider de changer. J’ai fait les dossiers et j’ai bénéficié d’une aide à la reconversion.
- Il faut aussi savoir que la chimie ça coûte une fortune, rajoute-t-il. Les traitements bio sont beaucoup moins cher. Alors certes on y passe un peu plus de temps, mais de toute façon, en tant que vigneron, qui compte son temps ? J’ai essentiellement des vieilles vignes, dont les rendements ne sont de toute façon pas très élevés. Avec le bio j’ai à peine perdu en rendement, mais beaucoup économisé en traitements.
C’est dans un chai flambant neuf que Bertrand accueille le visiteur. Ambiance start up technologique, on est loin de l’ambiance écolo mais un peu brinquebalante parfois associée au bio.
- Si l’on s’interdit les produits chimiques, il faut une hygiène irréprochable, argumente Bertrand. Et il nous donne des chaussons afin que nous puissions laisser nos chaussures à l’entrée.
Tout est impeccable, les tuyaux brillent, l’espace est baigné de lumière, les sols sont en béton peints et luisants, il n’y a pas un gramme de poussière ou de crasse à l’horizon. On se croirait au Japon !
Et cela marche. Car Bertrand a hissé son domaine dans le club très fermé des noms connus du Languedoc.
- Le bio c’était avant tout le choix de la qualité, continue-t-il. J’ai converti le domaine au bio quand j’ai repris les vignes de mon père. Je ne voulais pas comme lui galérer avec des rendements élevés mais des difficultés chroniques à vendre. Le bio, c’était d’emblée un vin plus présent, plus conforme au terroir, plus valorisant.
Aucun vigneron rencontré ne voudrait revenir à l’agriculture conventionnelle. Ils sont nombreux toutefois à pester contre les difficultés de la reconversion au bio.
- On s'est fait bien avoir, car depuis 40 ans tout a été fait pour la chimie, se lamente Gilles ! Ici dans le sud nos vignes étaient taillées en gobelet, ce qui favorisait l'aération (et protègait donc naturellement contre les maladies). L'espacement traditionnel permetait un labour croisé (et donc l'élimination plus facile de l'herbe). Mais lorsque nous avons accepté les primes à la replantation, il a fallu replanter en cordon de royat. Et planter des plants de vigne moins rustiques, donc plus dépendants de traitement chimiques.
Et qu’est-ce qui change le plus quand on passe au bio en venant de la viticulture traditionnelle ?
- La paperasserie, dit l’un ! Et puis se ravise et rajoute avec un sourire. Il n’y a pas plus de papiers dans le bio que dans le conventionnel, mais ce ne sont pas les mêmes.
- On apprend à mieux observer, à mieux s’adapter au temps qu’il fait, aux conditions. Avant je traitais sans réfléchir. Maintenant je suis beaucoup plus au courant de l’état de mes vignes, et je fais le strict minimum pour qu’elles se portent bien.
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